Souvenirs en vrac, à la manière de Françoise Héritier dans "Le sel de la vie"
- sentir ses orteils s’ouvrir en éventail dans de confortables chaussures. – éveiller un sourire chez quelqu’un que l’on croise (pourquoi ?) – être émue d’un sourire – s’émerveiller de jeunes cyclistes qui passent le feu cabrés sur une roue – écouter l’appel clair des mésanges – entendre tout d’un coup, et l’écouter, un sifflement dans l’oreille – sentir le vent s’engouffrer dans sa chemise en descendant, plein pot, à vélo, le raidillon de Beloire – écouter les grains de pluie tomber comme grains de riz sur le toit de la véranda – regarder les ageasses hocher la queue avec insolence – grimper, enfant, dans le cyprès pour y lire tranquille, un peu inquiète des balancements de l’arbre par grand vent – avoir regardé avec gourmandise des « Nous Deux » dans le grenier de madame Delaigle à Trangis, et fureté dans celui de monsieur Guindey au-dessus des garages – avoir longtemps gardé sur mon répondeur un message dont le timbre de voix était superbe et regretté quand je l’ai effacé – avoir participé avec plus ou moins de succès au « Baiser de la matrice » : lectures aléatoires de pages de Proust par internet (en 2008 ?) – avoir eu un minitel, puis un des premiers ordinateurs familiaux, pour Erwan – rire des petits distribils et s’angoisser des gros – avoir sauvés une mésange puis un lérot apportés vivants dans ma chambre par ma chatte noire – avoir « chevauché » à Trangis le vieux vélo de Mamou en le conduisant avec des rênes de ficelle attachée au guidon – sifflé pour répondre à un merle persuadée que nous dialoguions – se demander pourquoi tant de types vont coiffés de bonnets, casquettes, capuches – savourer le parfum d’une framboise en la pressant doucement entre la langue et le palais – et si c’était l’amour, et donc le chagrin de la perte, qui avait conduit les premiers hommes à inhumer leurs morts ? – faire l’amour dans la mer : noyade ? – c’est dur de reconnaître avoir eu tort, cela nous grandit – fière d’avoir apprivoisé mon idiote appréhension des couleuvres – avoir enfin réussi à faire la posture sur la tête grâce à Martyn : question de confiance – quand j’étais jeune les sous-vêtements noirs faisaient très mauvais genre – avoir plein de défauts plus la paresse – accorder le plus grand crédit à l’honnêteté intellectuelle – m’être lancée par impulsions qui ont orienté ma vie – avoir été saluer rituellement Dürer en son autoportrait chaque fois que j’allais au Louvre, qui était gratuit le dimanche – avoir découvert la place des Vosges bien avant qu’elle ne soit connue et bien cracra, y être allée de temps en temps m’imprégner de son atmosphère particulière – avoir chanté à tue-tête mes airs préférés à vélo dans le marais vers Meschers – combattre inlassablement mes passions tristes – adorer faire de l’humour qu’hélas personne ne comprend – s’émerveiller des premiers chants d’oiseaux, des amandiers et mimosas en fleurs, etc – à rire quand soudain un énorme camion obscurcit la cuisine – avoir médité au petit matin dans la cour carrée du Louvre – avoir eu la chair de poule en restant seule, au musée d’Orsay, devant Monet, Cézanne…Odilon Redon… - faire le vœu qu’à ma mort on rira de bon cœur de cette de cette naïve et folle, un peu poète – avoir été assaillie par un dense essaim de moucherons en allant déposer mes épluchures dans le bac collectif dédié – lire dans le hamac de la véranda au chaud soleil de Février – regarder passer les grains quand on est à l’abri – être angoissée par ceux qui ont des certitudes – si survivre n’est plus vraiment vivre, être un sous-fifre est-ce jouer mal du pipeau – être fière d’avoir monté seule le dressing commandé à la Camif – avoir acheté par erreur des chips goût « beurre salé », beurk – avoir fait un commentaire musical sur une œuvre de Sibelius qui a été lu sur France musique par Jérémie Rousseau – s’esbaudir que les cuisinières, si petites soient-elles, s’appellent des pianos – quel moral peuvent avoir les ados, ils sont tous en noir – avoir vu derrière la vitre de la véranda le charmant spectacle d’une petite araignée attrapant un moustique – avoir croisé trois ados qui m’ont dit « bonjour madame », j’ai répondu « bonjour jeunes hommes », ils se sont esclaffés – passionnants, les liens improbables qui se tissent entre mes lectures : Proust, Alain Finkielkraut, Philippe Val, Thomas Schlesser (les yeux de Mona) – épouvantée par les jeunes robots sûrs d’eux qui tractaient pour Bardella – je me souviens de l’expérience majeure à Poitiers au « Confort moderne » en 1992, seule dans une installation de James Turell, semi-aquatique – avoir échoué à initier un texte de conclusion sous forme de poème collectif après un café-philo à la médiathèque – avoir ouvert la porte au « Printemps » de Botticelli, c’était Nils – souvenir de la poêle sans queue que Mamou aimait tant – avoir regardé coup sur coup deux « Eugène Onéguine », puis deux « Roméo et Juliette », puis deux « madame Butterfly » tous exceptionnels – avoir offert, par Mamou, une pince à sucre aux anglais qui n’utilisaient que du sucre en poudre – se réjouir de toujours apprendre de la vie – penser à Brancusi – écouter la rythmique étonnamment variée et complexe de la pluie s’écoulant dans le chéneau de la véranda – pleuvoir des hallebardes, on ne peut mieux dire – avoir regardé passer la flamme olympique – perdre la boule en ayant toute sa tête, jeu de massacre ? – avoir laissé la voiture à Minerve, seule sous le cagnard, et remonté le cours du Brion à l’ombre de ses arbres jusqu’à une vasque pour m’y baigner, fraîcheur délicieuse, moment parfait – se demander s’il y a un lien sémantique entre gardable et regardable - avoir passé un moment joyeux à la Toussaint devant la tombe de Mamou, en famille, mangeant du gâteau breton – avoir fait un tour de parachute ascensionnel, et un d’ULM - ...